Ils étaient des centaines

Ils étaient des centaines et des centaines
Qui étaient venus par douzaines
De tous les coins de la ville
...Et même de l’extérieur de Guayaquil.
Ils étaient venus parce qu’ils avaient faim
En espérant qu’ils dénicheraient un bout de pain.
Ils étaient venus avec une chemise délavée
Et en n’étant chaussés d’aucun soulier.

Ils se tenaient près des hangars,
Cordés comme des cordes de bois mort.
Ils se tenaient immobiles comme des goélands,
Surveillant les bateaux et les chalands.
Ils se tenaient là, espérant être choisis
Par le contremaître qu’ils attendaient depuis minuit.
Ils se tenaient là, espérant se faire dire : Toi,
Ce qui était leur nom de même que celui des autres gars.

On les appelait pour les faire travailler
Du lever du soleil jusqu’à son couchée.
On les appelait pour qu’ils écaillent la coque rouillée
Qui habillait de vieux bateaux venus mouiller.
On les appelait bosser en échange d’un plat de riz,
Leur disant de se compter chanceux d’avoir été choisis.
On les appelait des hommes Pic verts
Parce qu’ils cognaient du marteau sur du fer.

Et les hommes Pic verts se suspendaient à des cordées
Pour couvrir le navire poupe à proue en une nuée.
Et les hommes Pic verts se mettaient à marteler
Sur la coque de mon navire toute une journée.
Et les hommes Pic verts continuaient sans s’arrêter
À dérouiller de leur marteau tout le fer corrodé.
Et les hommes Pic verts oubliaient les mains gercées,
Les muscles épuisés, sachant qu’ils auraient un peu à manger.

Ils étaient des centaines et des centaines
Qui étaient venus par douzaines,
Avec non pas l’espoir d’avoir une meilleure vie,
Mais simplement celui de gagner un plat de riz.
Et en les voyant œuvrer et peiner,
Je me suis dit que jamais je ne devrais rechigner,
Si un jour, je n’avais pas de dessert
Après un bon repas, lors d’un dimanche à ne rien faire.