La berceuse de Notre dame

Extrait pages 11-16

 

 

 

Le palmier

 

 

— Où peut-elle bien être ?

 

Voilà ce que Zohra s’était demandé en se dirigeant vers le Palmier, un café très populaire de la ville. Elle n’avait pas de réponse à sa question. Cela la frustrait. Elle avait le sentiment que des siècles s’étaient écoulés depuis la disparition de sa sœur.

Zohra était arrivée au café au moment où les horloges pointaient leurs aiguilles vers le ciel. Midi. Les cloches de l’église Notre-Dame s’étaient mises à bourdonner. Elles avaient retenti douze fois dans l’oreille des gens. Elles s’étaient fait entendre d’un bout à l’autre d’Auxonne, une ville de Bourgogne, située non loin du Jura.

L’heure du déjeuner allait commencer. La charcuterie de la rue Marin, la Lunetterie, le cordonnier, le commerce La Presse et Flora, une boutique de fleurs, avaient fermé leur porte dès le premier coup de cloche. Les boulangeries, comme la boulangerie d’Antan, étaient demeurées ouvertes. Elles donneraient trente minutes de plus aux Auxonnais pour se dégoter une banquette et admirer quelques petits gâteaux.

Midi. Les commerces se vidaient comme à tous les jours. Les cafés situés sur la Grande Rue et autour de la Grande Place, se noircissaient de monde. Leurs terrasses prenaient rapidement vie. Les clients arrivaient avec un pull ou un chandail. L’air était humide et frais.

11


 

Le Palmier était un café situé sur la Grande Rue. Il se dressait près d’une croisée de chemins, la plus importante de la cité. Les employés du café ne chômaient pas en ce midi. Verre vide appelait verre plein. Les serveuses avaient à peine le temps de répondre aux clins d’œil que des militaires en perm leur adressaient. Leurs plateaux s’habillaient et se déshabillaient de petits blancs, de rouges et de pressions à une vitesse effarante.

Toutes les tables de la terrasse du Palmier étaient occupées. Deux hommes dans la quarantaine discutaient du dernier tiercé à l’une d’elle. Trois mecs commentaient le dernier match de foot du PSG à une autre. Des employées de la Poste s’évertuaient, par ici, à décrire le comportement de leurs clients du matin. Des fonctionnaires, par là, parlaient entre deux gorgées de blanc, de la dernière grève de la SNCF. Des frères et sœurs, prenant place à deux tables, abordaient un problème de famille. Tout près de la sortie du café, un habitué de la place interrogeait un serveur du nom de Jeannot Chapelier. C’était que, un fait étrange, survenu au cours des derniers jours, l’intriguait.

 

— Merci pour le demi, Jeannot. Mais dis, tu bosses tard dans la soirée ?

— Non, m’sieur Ricard. Pas toujours. Enfin pas hier.

— Et avant-hier, Jeannot ?

— Attendez que j’y pense ! Oui, effectivement. J’ai dû remplacer un collègue qui s’est pas présenté au boulot. Mais pourquoi cette question ?

— Tu n’aurais pas entendu une musique d’orgue, Jeannot ?

— Tout à fait, et à mon avis, ça provenait de l’église.

— Bizarre, non ?

— Pourquoi ça, m’sieur Ricard ?

— Il me semblait que l’orgue était cassé.

— Ça, c’était bien vrai. Mais il a été réparé, m’sieur.

— Réparé ?

12


 

— Ben oui, réparé.

— Comment as-tu su cela, Jeannot ?

— Ben, c’est ma mère. Y a pas plus dévote qu’elle. Des fois, je pense qu’elle est venue au monde rien que pour préparer sa mort. Tout ce qu’elle fait en tout cas, c’est en vue de cela. Je devrais en rire mais bon, c’est ma mère. Et puis, si elle apprenait que je me moque de sa croyance, elle me donnerait une de ces baffes à me casser au moins trois dents. Alors quand elle parle de religion, je me fais tout petit et tout gentil.

— Et c’est ta mère qui a réparé l’orgue ? Un orgue qui pour aussi longtemps que je m’en rappelle, n’a jamais réellement laissé entendre toutes ses notes, du moins avec une belle sonorité.

— Ça, c’est tout à fait vrai, m’sieur. Y avait un problème avec l’orgue. Le son sortait, mais, il était bizarre parfois. Du coup, personne ne voulait vraiment en jouer. En tout cas, c’était rare qu’un bon organiste prenne place au clavier. Même que, depuis le temps, la plupart des gens ne voyaient plus rien d’anormal dans le son de l’orgue. Mais dites m’sieur, pourquoi pensez-vous que c’est ma mère qui a réparé l’orgue ?

— Mais ! C’est toi qui viens de me dire que c’était ta mère qui avait effectué la réparation !

— Non, m’sieur Ricard. Je voulais pas dire que c’était ma mère qui avait réparé l’orgue. C’est juste que c’est elle qui m’a dit que l’orgue était réparé. Elle a su du curé après une messe ou je ne sais trop quoi.

— Et ta mère t’a dit qui avait réparé l’orgue et quel était le problème ?

— Pas vraiment, m’sieur Ricard. Juste que quelqu’un avait trouvé ce qui clochait. Pis que c’était une chose qu’aurait dû être trouvée, y a ben des années.

— C’est vrai que ce problème avec l’orgue était une énigme pour notre curé. Il devait être content de voir que quelqu’un avait enfin trouvé la clef de ce problème.

13


 

— Pour ça, je vous dis que oui. Il était ben heureux à ce que m’a dit ma mère, avait répliqué le serveur qui s’était éloigné sur ces mots pour voir à ses autres clients.

 

Monsieur Ricard, fonctionnaire et fana du cor de chasse, était devenu songeur suite aux dernières paroles de Jeannot. Il avait eu l’impression que ce dernier en savait plus qu’il ne disait. Il avait jeté un coup d’œil en direction de l’église. Cette dernière n’était pas visible cependant. Une barrière de bâtiments obstruant la vue.

Monsieur Ricard avait, pendant une minute, songé à ques-tionner le curé pour apprendre ce qui avait rendu l’orgue malade pendant tant d’années, voire des siècles selon certains. Puis, il s’était dit que cela n’en valait pas la peine. L’important après tout, était que l’orgue avait enfin retrouvé la santé. Et il avait porté son demi à ses lèvres, écoutant discrètement des employées de la Poste qui discutaient à la table voisine.

 

— En tout cas, Marielle, ça n’arrêtait pas ce matin. Un client n’attendait pas l’autre. Les pires étaient ceux qui voulaient retirer des gros montants de leur compte. Pourtant, le règlement dit clairement que pour les gros montants, il faut prévenir quarante-huit heures à l’avance. Non, mais, il y en a qui se croient tout permis parce que c’est leur argent et qu’ils ont un livret A.

— T’as bien raison, Anne. Tiens, moi à mon guichet, il y en a un qui s’est présenté avec des choses à poster même pas emallées. Alors, je te dis pas, le temps qu’il a mis à préparer son paquet, ça a fait que la file de gens qu’attendaient pour être servis, s’est allongée jusque sur le trottoir. Et qui tu penses qui a reçu la grogne des clients impatients ? Bien moi. Comme si c’était de ma faute que l’autre n’avait pas préparé son paquet.

— Je te comprends, Marielle. Il y a toujours de ces clients qui blâment tous les problèmes de la Poste sur nous alors que c’est eux, la cause des problèmes. S’ils arrêtaient de poster des

14


 

paquets, il n’y en aurait pas de problèmes, avait lancé Anne avec un petit rire.

— C’est clair Anne. Les clients veulent qu’on fasse tout. Sauf certains, comme ce type qu’est pas d’ici et qu’est venu, il y a pas si longtemps, poster des gros paquets avec son amie.

— Des gros paquets ?

— Pas trop gros, Anne, mais lourds. Chaque boîte devait faire dans les quarante kilos.

— Quarante kilos ? Tu rigoles !

— Ah que non, Anne. Même que les paquets, ils sont enre-gistrés avec leur poids. T’auras qu’à vérifier si tu me crois pas.

— Je te crois, Marielle. Mais bon, t’as dû avoir de la misère à soulever ça. Tu aurais pu te donner un tour de rein et te retrouver en congé de maladie. Quarante kilos ! Mais qu’est-ce qu’il pouvait bien y avoir dans ces paquets ?

— Sais pas, mais le type a inscrit sur les papiers que c’était de la ferraille. Et puis t’en fais pas, c’est pas moi, mais c’est lui qui a transporté les boîtes sur la balance.

— De la ferraille, Marielle ?

— En plein ça, Anne. Et son amie, que je connais, a dit que c’était un vieux foyer qu’ils expédiaient au loin. Un foyer qu’ils avaient démonté car il était trop lourd pour poster en un seul morceau.

— Et c’était que ça qu’ils postaient ? Un foyer démonté en plusieurs morceaux ?

— C’est ce que le monsieur a dit, Anne. Mais bon, va sa-voir ! Peut-être que certains des morceaux de fer venaient de d’autres choses que d’un vieux foyer.

— De d’autres choses, Marielle ?

— Va savoir ! En tout cas, c’était lourd. Mais bon, au moins, le client n’a pas rechigné quand je lui ai demandé de transporter ses boîtes et surtout, il ne m’a pas dit que c’était mon boulot de le faire.

15


 

— Faut croire, Marielle, que ça existe encore des gens qui font bien.

— Faut croire que oui.

 

Les employées de la Poste, suite au commentaire de Marielle, avaient continué de se lancer d’autres anecdotes sur les clients et sur les difficultés de leur boulot, sous-payé soit dit en passant.

Plus loin, se déroulait au même moment, une autre conversation. Un petit groupe de personnes, rassemblées autour de deux tables, discutait. Elles, rien qu’à voir les traits de leur visage, étaient d’une même famille. Elles s’étaient réunies pour parler d’une question importante. Du moins, selon la prétention de certaines d’elles. Deux des sœurs avaient de fait, pris l’initiative de demander à tous leurs frères et autres sœurs de venir au Palmier en ce midi.

Certains membres de la famille étaient venus à reculons et avec répugnance. Cela était facile à comprendre pour ceux qui les connaissaient. Ils détestaient les conseils de famille où trop souvent, ils se surprenaient à devenir la cible de certaines sœurs frustrées. Cela arrivait quand celles-ci montaient la tête de tous et chacun dans un genre de jeu qui n’avait rien d’amusant mais tout du diabolique. Cependant, l’envie d’apprendre ce que les deux sœurs voulaient et pourquoi elles parlaient de disparition, avait piqué leur curiosité.

 

— Disparue, Zohra ! Je me doutais que c’était pour nous parler de Karina que tu nous avais suppliés de venir. Mais bon, tout de même !

— Tain ! Mais tu vois pas qu’elle n’est pas ici ! Et puis, je ne vous ai pas suppliés.

— Hé la pétasse, me parle pas sur ce ton ! Et, ce n’est pas parce qu’elle n’est pas ici, qu’elle a disparu.

— C’est moi que tu appelles la pétasse ?

16

 

 

 

Extrait pages 179-180

     Alors que, à Dijon, le docteur Chaussier allait entreprendre une nouvelle journée de recherche, à Paris, une barricade et une foule d’émeutiers mettaient un terme à une journée de voyage qui n’avait même pas eu le temps de prendre son essor. Et cette

situation avait habillé de sueurs froides Joseph Chapelier.

     Joseph était celui qui avait reçu instruction de conduire quelques passagers du Temple de Paris à Auxonne. La route devait se faire dans le plus grand secret. Mais peu après avoir

quitté le Temple, Joseph s’était retrouvé coincé aux portes de Paris par une bande de sans-culottes. Cette situation avait rempli de frayeurs tous les compagnons de voyage de Joseph.

     Antoine Simon était descendu de la calèche pour rejoindre Joseph qui faisant face aux émeutiers, ne savait comment réagir. Mais tout ce qu’Antoine avait pu faire, avait été de ne pas laisser sa peur galoper. Joseph lui, avait de suite réalisé que, si il y avait

un homme qui pouvait le tirer de ce pétrin, c’était son passager. Ce dernier s’était sans nul doute aperçu de la tournure des évènements. Il était sorti de la calèche sans invitation. Il était venu rejoindre Joseph et Simon. Face aux émeutiers.

 

     — Citoyens, je suis le député de la Côte d’Or, siégeant au Comité du peuple, avait-il dit aux émeutiers.

     — Et moi la Reine, avait répliqué en s’esclaffant de rire, le plus bouffon des émeutiers.

     — Silence citoyens, avait alors crié d’une voix forte et menaçante, le député Prieur.

 

     Personne n’avait entendu ce dernier ordre. Trop d’insultes, de rires et de cris de la part des émeutiers, étaient venus assourdir les paroles du député. Joseph et Antoine s’étaient regardés, plus craintifs que jamais. Si un député du Comité ne pouvait résonner des émeutiers comme ceux à qui ils faisaient face, alors personne ne le pouvait.

     Joseph avait alors vu une corde de lanterne se dessiner devant lui. Antoine, le couperet d’une guillotine se glisser devant ses yeux. Se faufiler à travers ces instruments de mort allait devenir très laborieux.

     Puis, soudainement, les cris et les rires des émeutiers avaient cessé. Un silence avait recouvert la barricade. Et la grande peur avait fait son apparition. Elle était ainsi la grande peur. Elle apparaissait furtivement sans qu’on ne l’attende.

. . .

Extrait pages diverses...