Le Papillon de Notre-Dame

Extrait des premières pages

Chapitre 1

La berceuse de Notre-Dame

 

 

 

― Où peut-elle bien être ?

La petite sœur de Karina avait laissé cette question jaillir dans sa tête lors du débarquement d’un été à Auxonne. La disparition de cette dernière absorbait tellement ses pensées qu’elle n’avait pas vu l’abbé Luc, un bénédictin dans la quarantaine, s’approcher. Elle l’avait heurté par inadvertance.

― Merde ! Fais attention ! Conasse ! avait marmonné le moine entre ses dents jaunies.

Le juron de l’abbé avait fait sursauter la jeune femme. Son parler ne l’avait pas surprise cependant. Elle avait toujours trouvé étrange ce religieux avec sa tenue monastique trop ample, ses chaussettes rouges et ses sandales poussiéreuses. Il se conduisait parfois d’une manière nébuleuse qui frôlait la folie.    

― Conard toi-même, avait-elle balbutié en répartie.

Le moine s’était éloigné en maugréant quelque chose au sujet d’un coffre. La sœur de Karina avait repris son chemin. Elle s’était dirigée vers un café. Le lieu était pompeusement baptisé « Le Palmier ». Le nom avait sans doute quelque chose à voir avec les palmiers en bois pressé qui ornaient sa façade.

La jeune femme frisait la trentaine. Elle grommelait en ce début d’été. Elle ignorait où Karina se trouvait et cela la rendait de mauvaise humeur. Elle avait insisté pour rencontrer les autres membres de sa famille au café. Ceux-ci avaient accepté de venir avec réticence et sans enthousiasme.

Karina s’était volatilisée quelque temps auparavant entre deux courants d’air. Elle n’avait rien laissé derrière elle.  

Ni un dernier mot.

Ni une adresse.

Ni une goutte de sang.

Ni même l’odeur de son parfum.  

Sa petite sœur était cependant convaincue que quelqu’un de sa famille pourrait la renseigner. Un frère se devait d’avoir de l’information sur Karina. Une aînée se devait d’en avoir sur l’étranger qui avait gravité autour d’elle.

Pouvait-on imputer à ce dernier la disparition de Karina ? La cadette l’ignorait. L’inconnu sûrement savait. Il avait débarqué en Bourgogne deux ans avant le mystérieux départ de Karina. Il était arrivé à la gare de Tillenay, aux portes d’Auxonne, avec deux grosses valises. Un froid printanier l’avait accueilli à sa descente de train.  

L’étranger s’appelait Rémy Berdin. Il avait failli ne jamais se rendre en Bourgogne. Le destin en avait cependant décidé autrement. Sa venue avait débuté par une brise fraîche. Poussée par le hasard, elle était entrée chez lui entre deux rayons de soleil. Elle s’était introduite par une fenêtre et lui avait soufflé le goût de prendre la route une dernière fois. Il avait songé à une destination tout en mettant de l’ordre dans ses affaires. Il avait retrouvé des documents en se préparant. Ceux-ci lui avaient fait découvrir un mystère. Il avait eu envie de le résoudre. Il avait compris que pour cela, il lui fallait gagner la France.

Rémy était donc parti en avion quelques semaines plus tard. Il avait atterri à l’aéroport CDG. Il était ensuite monté dans un train pour gagner la Bourgogne, là où avait vécu un certain Hubert Lefrançois.

Rémy avait déjà mis le pied dans ce département. Il n’avait jamais cependant pris le temps d’apprendre les rues, les gens et l’histoire de ce coin. Il n’avait pas eu raison de le faire. C’était différent aujourd’hui. Il voulait résoudre une énigme. Il avait un mystère à décortiquer.    

Rémy, à sa descente de train, avait glissé sa main dans la poche droite de son manteau. Ses doigts avaient froissé un papier fripé. Celui-ci était gribouillé de mots trouvés dans une boîte à chaussures, héritage de son père. Ils venaient d’une ébauche de lettre qui avait dormi dans le contenant en compagnie de divers articles et feuilles dont la partition d’une berceuse. Tous ces objets avaient une odeur de godasses usées.  

La boîte s’était retrouvée entre ses mains à la suite des funérailles de son vieux. Elle y avait fait un arrêt temporaire puis s’était perdue au fond d’une penderie. Elle était demeurée enterrée dans l’oubli pendant des années, ne refaisant surface qu’au moment où il rangeait ses affaires. Quelques coups d’oeil avaient alors suffi pour découvrir que plusieurs papiers étaient écrits dans un français démodé. Certains, délavés par le temps, étaient à peine lisibles.

Rémy avait copié certaines parties des documents lus sur la feuille se trouvant dans sa poche. Ceux-ci avaient été écrits par Hubert Lefrançois et Denis Berdin. Ils faisaient allusion entre autre au Comte Louis de Condé et au maître vitrier Michel mort sur les plaines d’Abraham. Un document promettait pour ce vitrier des obsèques dignes d’un Chevalier de l’Arquebuse.      

Rémy, tout en essayant de s’imaginer la tête de ces personnages, avait empoigné les deux valises descendues avec lui du train. Il avait contourné l’édifice de la gare. Il s’était assis sur un banc de pierre qui flânait sur le devant du bâtiment. Il avait attendu. Une musique d’orgue émergeant du centre de la ville, de l’église Notre-Dame, l’avait alors enveloppé.  

Rémy s’était fermé les yeux pour mieux entendre. La mélodie était celle d’une berceuse. Il la connaissait. C’était celle trouvée dans la boîte à chaussures. Elle faisait souvent jaser des clients de cafés. Ces derniers avaient des opinions variées sur son origine et des idées farfelues quant à son interprète. Certains se demandaient qui jouait. D’autres affirmaient savoir.

― Un fou !

― Un bossu !

― Un esprit !

― C’est celui d’un curé. C’est celui de Delacuisine.

― Radotage, répliquait alors le patron de la boîte.  

Quelqu’un pourtant savait. Cette personne était celle qui faisait danser ses doigts sur le clavier. Certaines langues juraient que c’était le curé. Il avait accès à la tribune où l’orgue habitait. Il n’était pas le seul cependant à pouvoir s’y rendre. Une vieille dame de quatre-vingt-douze ans possédait aussi la clef permettant d'atteindre cet endroit. Ses clefs ouvraient même toutes les portes de l’église Notre-Dame.

Cette dame, Madame Amandine, était la gardienne attitrée des lieux. Tout le monde la connaissait. Tous l’appelaient par son prénom. Peu de gens savaient son nom de famille. Elle l’avait égaré quelque part, disait-elle lorsqu’on le lui demandait. Il n’y avait possiblement que sa nièce qui s’en souvenait !

Madame Amandine ouvrait et fermait, matin et soir, les portes de l’église. Elle le faisait avec la régularité d’une horloge bien huilée. Elle le faisait avec difficulté aussi. Gravir deux marches lui causait une grande souffrance. Ses jambes avaient beaucoup travaillé au cours de leur siècle de vie. Tous les habitués des cafés le savaient. Ils l’affirmaient.

― Il est physiquement impossible pour Dame Amandine de se rendre à la tribune.  

― Tu as raison. Le musicien, c’est donc le curé.

― Peut-être, mais c'est pas certain.

― Qui veux-tu que ce soit, si c’est pas lui ?

― J’en sais rien. Un fantôme vêtu d’une cape noire !

― Tout ça, c'est des conneries ! Si tu continues, tu vas nous raconter que ce fantôme joue par mauvais temps pour empêcher les esprits de faire du mal !

― Bien, en voilà une bonne explication !

― Balivernes ! Vous dites n’importe quoi, messieurs ! s’était exclamé le patron de la place.

Pour Rémy, l’identité de l’organiste était un mystère. Il ne croyait pas aux fantômes. Il ne pensait pas que c’était le curé, car il avait déjà aperçu ce dernier hors de l’église alors que l’orgue s’en donnait à cœur joie. Il y avait cependant un autre ecclésiastique en ville. L’abbé Luc, un bénédictin, faisait en effet partie du décor d’Auxonne depuis belle lurette. Aux dires de quelques anciens, c’était lui qui faisait danser des notes sur l’orgue.

L’abbé Luc était un être insolite et étrange. Il s’amenait toujours avec ses sandales brunes, ses chaussettes rouges et sa soutane trop grande. Une corde monastique liait celle-ci à son corps. Le moine déballait souvent sur les doyens du coin des questions reliées à l’histoire d’Auxonne. Il évitait de croiser les gendarmes. Il disait venir du nord de Paris, de Saint-Prix. Mais, savait-il faire siffler les tuyaux d’un orgue ?

Rémy, assis sur un banc devant la gare, avait écouté la berceuse. Celle-ci s’était promenée au dessus des cheminées de la ville. Elle avait flotté dans les airs pendant plusieurs minutes. Une fois la dernière note envolée, Rémy avait remonté ses paupières. Il était seul. La place était déserte. Quelques automobiles, les phares endormis, attendaient leur maître sur le stationnement.

Rémy avait patienté. Une voiture s’était amenée au bout de quelques minutes. Elle s’était approchée et avait fait arrêt à une roue de ses pieds.

― Bonjour Rémy, avait lancé une voix féminine par la fenêtre.

― Bonjour.

― Monte ! J’avais peur d’être en retard.

― Ça n’aurait pas été grave. Certainement pas une raison d’avoir peur.  

La voiture avait redémarré une fois Rémy à son bord. Elle s’était éloignée de la gare. Elle avait rejoint le pont qui enjambait la Saône et traversé la ville en empruntant son artère principale. Elle avait laissé derrière elle, la porte de Comté et s’était arrêtée devant le « Lilas ». C’était un hôtel économique et bien tenu de cinq chambres. C’était aussi un restaurant de bonne cuisine. Le bâtiment avait deux portes à l’avant, l’une pour le café, l’autre pour les chambres.

― Nous y voilà. Merci d’être venue me chercher.

― Pas de souci. Le patron de l’hôtel t’attend. Moi, je dois y aller. Des courses à faire. On causera plus longuement une autre fois.

Rémy s’était extirpé de l'automobile. Il l’avait observée s’éloigner avant de se diriger vers le « Lilas ». Alors qu’il y arrivait, la porte attenante au café s’était ouverte. Un individu, dans la trentaine, le jean troué, les joues noircies par une barbe de deux jours, avait fait son apparition. Le nouveau venu s’était dirigé vers une minuscule voiture et y avait pris place. Il l’avait fait démarrer. Un bruit de moteur de tondeuse avait empli l’air. Rémy avait souri. Il s’était souvenu. C’était un véhicule « sans permis ». Vu la faible puissance de son moteur, des gens sans permis de conduire pouvaient en prendre le volant.

La voiturette du jeune homme s’était élancée sur la route dans un clic-clac infernal. Rémy, ses bagages déposés sur le sol, l’avait observée quitter les lieux. Les mots « Saintes-Maries-de-la-Mer » étaient imprimés sur un autocollant apposé sur son pare-chocs arrière.

 

Extrait: Les enfants au parc de la Tête d'Or

Ah ces enfants qui parcourent les pages du Le Papillon de Notre-Dame… ils ont toujours un baril de questions à poser…..

 

― Pourquoi ce parc s’appelle la Tête d’Or ?

― Parce qu’un trésor dans lequel se trouverait une tête en or du christ a été caché ici, avait répondu un accompagnateur.

― On va trouver de l’or ?

― Non les enfants, ce n’est qu’une légende. Il n’y a pas d’or ici.

― Alors pourquoi on appelle le parc, la Tête d’Or, s’il n’y a pas d’or ?

― C’est comme ça parce que c’est comme ça.

― Ah bon ! Alors il y a quoi dans le trésor ?

― Il n’y a pas de trésor, mon garçon. Je te répète ce n’est qu’une légende qui parle d’un trésor. Une histoire qui dit qu’une sculpture en or de la tête du christ est cachée quelque part dans le parc. Et une légende, ça n’existe pas.

― Les chevaliers non plus ?

― Pourquoi poses-tu cette question, Karina ?

― J’ai une fois entendu ma maman parler avec le docteur. Elle avait demandé si les chevaliers de la buse, ça existait.

― Les chevaliers de la buse ?

― C’est ça !

― Tu veux dire les chevaliers de l’Arquebuse ? avait précisé le Directeur Chaussier qui s’était approché.

― Ben, c’est ça que j’ai dit.

― Je vois. Et qu’a dit le docteur ?

― Il a dit que ça existait pas !

― Il avait raison. D’ailleurs, si les trésors ou les chevaliers existaient, on les verrait.

― Alors le christ, c’est une légende aussi ?

 

….

Je me demande bien ce que l’éducateur a répondu à ça !